samedi 5 juillet 2008

We Own the Night, James Gray, 2007


C’est l’histoire d’une famille. Une famille sans mère, où restent juste le père et ses deux fils. Une famille désunie : Bobby, joué par Joaquin Phoenix, n’a pas choisi la voie du Père (Robert Duvall) membre de la police de New York, à l’image de son frère joué par Mark Wahlberg. Il préfère tenir une boîte de nuit branchée, fréquentée par des dealers, et plus précisément par des membres de la mafia russe que son père et son frère vont tenter de faire tomber.
L’intrigue semble classique : le jeune chien fou face aux deux entités masculines garantes de la sécurité, de la justice (délicieux moment où Joseph, le fils prodigue, demande de l’aide à Bobby : celui-ci refuse et alors Joseph lui demande : « mais n’as-tu aucun sens civique ? » « Oh, laisse-moi réfléchir une seconde… non ! »), qui va finir par être puni pour son absence de morale. Mais ce n’est pas comme ça que James Gray a conçu son film : l’ensemble est profondément amoral, non pas immoral, mais simplement dénué de toute forme de morale. Parce que si Bobby finit par changer de bord et aider son père et son frère, ce n’est pas par sens moral, mais parce qu’il n’a pas le choix.
A la morale Gray préfère le tragique, et c’est bien une tragédie, à l’instar de celles d’Eschyle ou de Corneille, que le réalisateur va nous proposer. On a souvent défini le tragique comme la lutte d’un individu contre la fatalité, contre une force qui le dépasse. We Own the Night ne s’arrête pas à cette lutte : elle est évidemment montrée, lorsque Bobby se retrouve confronté à ces deux policiers qu’il connaît si bien et qui lui demandent de changer de bord ; ou alors lorsqu’il apprend qu’on a tiré sur son frère. Joaquin Phoenix incarne à la perfection ce personnage d’abord tiraillé entre le monde de la nuit qu’il adore (et servi par une musique détonante, notamment Heart of Glass de Blondie ou Let’s Dance de Bowie), puis finalement décidé à assumer son destin. Car c’est justement ça que veut nous montrer Gray, plus que la lutte contre la fatalité : la prise en main de sa destinée. Bobby sait qu’il n’a plus le choix, dès le moment où le chef de la mafia vient lui avouer qu’il veut tuer son père (celui-ci ne sachant pas, évidemment, les liens de parenté entre Bobby et sa famille).
Alors que la première partie nous donne à voir un personnage qui illustre à la perfection le titre du film (la nuit lui appartient…), la deuxième partie nous propose l’autre versant de ce titre ambigu : « we own the night » est ce qui apparaît sur les insignes des membres de la police de New York. Et Bobby passe d’un extrême à l’autre : il quitte définitivement ce monde de la nuit pour celui de la police, autre milieu codifié, qui nécessite des rites d’entrée
et qui est au moins tout aussi dangereux(lorsque Bobby prête serment pour pouvoir s’occuper de l’affaire qui le concerne, on peut évidemment penser aux policiers qui, au début du film, refusaient de tenter une action d’infiltration, parce que cela leur demanderait trop de temps - entrer dans la police semble paradoxalement plus simple, mais n’est possible que parce que Bobby est de la famille de Joseph et Burt, son père) .
Joaquin Phoenix incarne ce personnage qui assume son destin, pour preuve cette scène quasiment finale où Bobby va lui-même chercher le mafieux dans les roseaux, refusant de laisser ce travail aux autres. Il n’est pas un membre de la police comme un autre : il y est entré par nécessité, par obligation, et le travail qu’il a commencé, il va le terminer tout seul. Personnage résolument humain, c’est justement son humanité qui va lui faire perdre sa liberté : ses battements de cœur trop rapides avertiront le chef russe qu’il a quelque chose à cacher - à partir de là, plus rien ne sera pareil : nécessité de se cacher, et résurrection possible uniquement par le biais de la police, après avoir perdu le père… comme s’il fallait, non pas l’avoir tué, mais le voir périr, pour enfin prendre ce destin en main.
L’humanité de Bobby, c’est aussi sa splendide compagne (éblouissante Eva Mendes, qui sait se départir de son rôle de bimbo pour composer un personnage aussi fragile que sexy), qu’il va laisser derrière lui pour accomplir son destin.
Et c’est également son frère, qu’il semble haïr au début du film, mais à qui il finit par dire « je t’aime » lors des dernières images… amour qui sonne, non pas comme une réussite, un retour à la normale, mais comme une sentence. C’est cet amour qui les lie tragiquement l’un à l’autre ; c’est cet amour qui fait que Bobby comprend, à demi-mots, que son frère ne puisse plus travailler sur le terrain : lorsqu’ils sont sur le point de prendre les mafieux en flagrant délit, Joseph est incapable de faire un geste, alors qu’il vient de voir mourir un coéquipier - et cette mort le ramène inexorablement à la sienne, qu’il a évitée de justesse au début du film. Les policiers de Gray ne sont pas des héros, ils sont des êtres humains faillibles, bien loin des justiciers sans peur et sans reproche que certains ont cru voir dans ce film…
Il y a peu de films d’action (mais peut-on le qualifier comme tel ?...) qui aujourd’hui réussissent à évoquer autant d’idées, autant d’émotions chez le spectateur. Gray ne nous prend jamais pour des idiots : cette tragédie familiale, il sait que le public peut la comprendre, et surtout la ressentir. Il la sert d’ailleurs avec des images d’une stupéfiante beauté, et quelques scènes mémorables (notamment la course-poursuite sous la pluie, où le spectateur se retrouve à la place de Bobby, incapable de rien distinguer) qui font de ce film l’un des meilleurs de 2007 - voire des années 00 !
6/6

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